Triptyque futuriste

Nila

Texte

PHEALTHoverty
ENERGY
CITIES
CONSUMPTION
CLIMAT

L'oeuvre

2030 ? L’air a comme un goût de cendres. J’écrase méticuleusement les ruines d’une civilisation qui s’effrite en poussière grisâtre sous mes pas, sur mes épaules, jusque sur mes cils. Et je cherche désespérément la petite chose qui nourrira, une nuit encore, le rêve rachitique dont l’imagination a douloureusement enfanté au fond de moi. Le seul être qui puisse encore se réclamer du titre de vivant, c’est-à-dire échanger avec son milieu, évoluer, se reproduire. Chaque heure l’étoffe, chaque rencontre l’enrichit, chaque conversation le fertilise. Et la Terre se peuple de songes. Peut-être la descendance la plus prometteuse que l’humanité ait à laisser derrière elle. Une armée de pensées éthérées, coagulées en espoirs fragiles, pour reboucher le gouffre béant de la couche d’ozone. Des yeux de chimère, pour pleurer des mirages réconfortants sur le massacre méthodique de la biosphère, sur les continents rasés et les océans empoisonnés, sur l’atmosphère épaisse à en crever depuis que la moitié du globe s’est fait pulvériser en paillettes dans le ciel. Mais n’est-ce pas là ce que l’on faisait déjà si bien avant ? Avant la guerre nucléaire, les famines et la misère dans les bunkers ? Des jolies promesses, des longs discours, des conférences... Beaucoup, beaucoup de rêves. La jolie extinction de masse ! En attendant, j’ai trouvé mon champignon. Bon appétit…

2030 ? J’inspire avec délice la pureté de l'air frais. Rien n’a changé, vraiment. Toujours à courir avant 7 heures. Et pourtant... Je ne dégouline plus de stress amer, les yeux rivés sur les aiguilles qui défilent pendant qu’on klaxonne une énième fois ma course inconsciente à la productivité. Je n’ai plus peur de briser la fine bulle qui les contours de mon existence, lorsque j’ai le malheur d’entrer en collision avec une autre trajectoire de vie qui s’échappe. Je n’ai plus de bulle.
Les premiers oiseaux chuchotent à mes oreilles alors que mon dernier sprint à travers le long chemin bordé de forêt s’achève. En moins de deux heures, j’ai fait le tour du grain de raisin. Nouveau record personnel dans un monde nouveau. Depuis que l’Europe a levé le drapeau vert, les Etats se sont couverts de vignes. Chaque pied-nation porte ses grappes, dont les raisins ont la chair pulpeuse d’hommes et de femmes, le jus couleur sang. Face à l’urgence climatique, les villes ont en effet très vite explosé. Un vent tocquevillien de révolution soufflait, et il fallait continuer de vivre. Les gens se sont lentement agrégés en anticyclones, petites communautés locales et autonomes, qui vibraient au diapason du la sec et mat du déclic. Le déclic ? Biens communs, circuits courts et décroissance, sympathique Comité de Salut Public, guillotinant énergies fossiles et société de consommation. Une Terreur sanglante, certes, mais qui a assurément porté ses fruits : des milliers de villages indépendants ont poussé, organisés en réseaux, à travers les régions, les pays, tout le continent.
On n’y travaille plus aujourd’hui que 4 jours/semaine, le reste étant dévolu à la vie citoyenne : débats enflammés dans les comités de quartier, heures de bénévolat pour la collectivité... Chaque mois, les grains de raisin revoient leurs objectifs : mieux produire en entreprise, remplacer les rues par des chemins-forêts, relancer la monnaie locale… L’abondance de l’énergie avait ouvert des horizons immenses. Ils se sont soudain réduits à la cinquantaine de km de rayon d'un quotidien piéton/cycliste. Et que dire de nos désirs, insatiables dévoreurs de mondes ? Ils s’en sont contenté, et même, ils ont su s’en satisfaire. Tout va tellement mieux dans le meilleur des mondes…

2030. L’air sent la routine et l’ennui. Le même qu’hier ou qu’il y a 7 ans. J’avais beaucoup fantasmé sur l’odeur, le sens de cette année. Catastrophe mondiale. Utopie planétaire. Des fantasmes comme des fleurs en pot. Très belles dans le salon. Mais elles ne survivraient pas ailleurs. Pourtant, j’espère que le parfum des roses noires et blanches infusera suffisamment pour guider, balcon ouvert, les passants dans la bonne direction.


Le message

2030. C'est dans 7 ans. C'est demain. C'est beaucoup de peurs et d'espoirs mêlés, et c'est tout cela que je voulais faire transparaître dans cette nouvelle. J'ai essayé de mettre en lumière le paradoxe auquel j'ai été le plus souvent confrontée ces dernières années : des actions écologiques et solidaires absolument merveilleuses, mises en œuvre avec brio ici ou là ; et partout autour, des océans d'indifférence voire de scepticisme qui menacent de noyer les voix qui s'élèvent. Aussi, sans me risquer à croire que tout aura changé dans le bon sens d'ici à 2030, je me plais au moins à espérer que le pire aura été évité, et même, qu'une majorité de gens seront conscients et concernés par les enjeux climatiques et environnementaux.


Le processus créatif

Je voulais observer les prolongements possibles du meilleur et du pire du monde actuelle.
Pour les conséquences d'une guerre nucléaire et les façons de survivre, je me suis inspirée d'un article de notre-planete.info, notamment les aliments encore consommables que l'on retrouverait (les algues et les champignons) dans un contexte de photosynthèse réduite au minimum.
Pour le monde utopique, je me suis largement inspirée d'initiatives réelles présentées dans le reportage de Cyril Dion et Mélanie Laurent "Demain", mais aussi de l'utopie Ecotopia d'Ernest Callenbach et du principe de la décroissance tel que présenté sur Blast par Timothée Parrique.
Enfin, tout mon texte est émaillé de références tantôt à mes cours de svt (extinction de masse), tantôt d'histoire (Révolution).
Après la perte d'un premier manuscrit, j'ai rédigé l'ensemble en deux soirées à partir de souvenirs de fragments, en essayant de mêler à différentes images et métaphores les sujets que je voulais traiter.