Chère Lise,
Ce n’est pas la première lettre que j’écris à destination du futur et que j’envoie cinq, voire même trente ans en avance, et par conséquent je ne pense pas que tu sois surprise de la lire. Je t’écris depuis 2023 et 2030 me parait extrêmement proche. Je ne sais pas si je vieillis ou si l’urgence vient d’ailleurs, mais le temps semble s’accélérer. Je prie pour que le futur tel que je le vois aujourd’hui est différent de celui que tu vis alors que tu me lis.
Je rêve d’un monde… et ce début de phrase est déjà un souhait immense. J’espère que tu es vivante pour lire ce message, que tu peux envisager avoir des enfants sans te questionner sur leur impact écologique et que la planète demeure.
Je rêve du monde de 2030 où les questions de climat, d’énergie et de biodiversité sont inscrites dans toutes les constitutions et où les crises ont fini par déclencher des actions plus ambitieuses, plus violentes, plus radicales. Des actions qui font qu’à ton époque, tu te dises que l’humanité est sur la bonne trajectoire, que les objectifs des entreprises ne sont plus d’assouvir le capitalisme dans lequel elles se sont construites, mais bien de respecter les ressources à notre disposition pour bâtir des écosystèmes durables. J’imagine que l’accumulation de catastrophes naturelles a été un coup de pied dans la fourmilière et a permis de repenser notre mode d’alimentation (ton combat préféré), nos moyens de transport, nos loisirs de privilégiés des pays développés, et pourquoi pas, toute notre économie ?
Je rêve de ce futur proche où la fast-fashion n’est qu’un lointain concept, où les gens ne demandent plus si nos cousins cousent leurs baskets car l’esclavage moderne et le racisme ne sont que de lointains souvenirs. Je te souhaite d’avoir investi dans une maison en terre crue, parfaitement isolée et adaptée au climat de ta région, mais je souhaite encore plus que le concept de propriétaire soit enterré. J’espère que tout le travail accompli pour réformer l’enseignement de la transition écologique aura été suffisant pour te transmettre les valeurs morales et les compétences nécessaires pour relever les enjeux planétaires.
Je rêve d’un monde où règne la solidarité et l’entraide. Sept années me paraissent presque suffisantes pour réformer un pays, pour réformer des institutions et des continents. Sept années, ce sont plus de soixante mille heures, plus de trois millions de minutes. Prendre des décisions sera toujours plus efficace que d’attendre que la technologie évolue et sauve l’univers. J’espère qu’à l’époque où tu vis la justice a évolué et - au hasard - punit toutes les agressions sexuelles, n’autorise plus les violeurs dans les gouvernements et condamne les écocides. Je rêve d’une parfaite égalité mais je doute que sept ans suffisent à changer les mœurs de plusieurs générations…
Je rêve qu’en 2030 les parents aient retenu plus de trois lettres dans l’acronyme LGBTQIA+ et qu’ils arrivent à se représenter ce que signifie « asexuel.le », qu’ils n’imaginent plus les mariages lesbiens comme des femmes en gilet d’homme et que chacun est libre, partout dans le monde, de vivre sa sexualité ouvertement sans risque d’être lapidé.e. J’espère que la société accepte la non-binarité comme une convention sociale de genre similaire à « masculin, féminin » et a cessé de marginaliser ceux qui ne cochent pas de case.
Enfin, je rêve d’un monde où on s’aime physiquement, où l’on se parle et l’on se touche, où l’on vit en plein air (non pollué) et où le numérique n’a pas consumé notre énergie. J’espère que tu liras ce mail avec deux jours de retard parce que tu n’es pas droguée à ton téléphone - qui n’a plus d’écran.
Sur ce, je te laisse avec mes rêves de jeune adulte, pourvu que la réalité s’en inspire !
Ta (super) grande sœur
PS : Je ne suis pas désolée de t’avoir menti en disant que j’étais en retard pour le concours Résonance (je te rappellerai ce que c’est). Je suis par contre désolée de ne pas avoir écrit en écriture inclusive, ce n’est pas encore très bien perçu en 2023. Des bisous.
Par cette œuvre j’ai souhaité garder une trace de mes espoirs de 2023 pour le monde de 2030. Cette lettre est dédicacée à ma sœur mais se veut universelle. Elle évoque les thèmes qui sont cruciaux pour notre génération et qui ne sont malheureusement pas la priorité des gouvernements et entreprises. Cette œuvre est optimiste bien que pragmatique. Elle est légère dans l’obscurité du contexte actuel. Elle énonce des vérités qui n’ébranlent pas encore les décisionnaires de ce monde. Cette lettre est une torche qui doit être transmise, une description des actions à prendre et un récit alternatif qui n’attends que d’avoir des protagonistes pour se réaliser.
Je programme régulièrement des lettres vers le futur mais sur des aspects beaucoup plus personnels de ma vie. 2030 est très proche et il me paraissait difficile d’imaginer une utopie radicalement différente. Pour créer ce texte, j’ai d’abord listé toutes les thématiques qui m’intéressaient, puis j’ai écrit une première version, une deuxième, une troisième, etc… Il a été difficile d’écrire sur des sujets qui me touchent : la première version était une lettre à moi-même mais l’œuvre étant publique je souhaitais garder un peu de distance. Le plus difficile a clairement été de respecter le nombre de caractères et d’élaguer des phrases sans perdre le style. Je voulais une langue orale, un phrasé qui pouvait être lu. Enfin, j’avais à cœur de terminer par une note plus humoristique et légère, à la manière d’une nouvelle.
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