Suggérer les présences

Ema Ringue Chardin

Texte

EARTH_LIFE
PEACE

L'oeuvre

Il faut que tu parles plus fort !
On va faire des exercices de voix, tu vas faire comme moi :
- Je suis Ema ! dis-je en hurlant, à toi
- je suis haojing. Dit-elle en murmurant.
- non, plus fort.
- je suis haojing.
- non, plus fort.
- je suis haojing.
- tu as déjà crié ?
- oui, oui.
- comment tu fais quand tu cris ?
- aah
- nan ce n’est pas crier ça.
- ah
- nan
Haojing, on ne te comprend pas, est-ce que tu peux répéter ?
Haojing je n’ai pas compris.

On ne comprend pas quand elle parle, elle ne parle pas assez fort, elle prononce mal les mots, on ne la comprend pas.

Pourquoi ça serait à Haojing de parler plus fort ? De mieux prononcer les mots ? Alors que c’est peut-être à nous de parler moins fort et de tendre l’oreille ?

Finalement, en travaillant avec elle pendant ses deux jours, maintenant je la comprends mieux. Est-ce que c’est parcequ’elle a « progressé » ? Est-ce que c’est parcequ’elle parle plus fort ? Est-ce que c’est parcequ’elle prononce mieux ?
Ou est-ce que c’est mon oreille qui s’est adaptée, habituée, aiguisée, pour comprendre la voix faible de cette femme ?

C’est nous qui parlions fort, on parle trop fort. Et si plutôt on adoptait des paroles plus basses ?

Comment suggérer la présence des êtres exclus ? Comment suggérer la présence des êtres exclus de cet endroit ?

Je suis sur la palissade, au-dessus du groupe. Haojing et Sébastien se trouvent en bas, devant nos cheveux, noués et suspendus créant de grand fils à peine perceptible sur le mur. Il faut s’approcher pour les voir, pour entendre aussi il faut se rapprocher.
Durant la lecture de nos textes performés, on a essayé d’adopter plusieurs tonalités vocales. Je lisais celui d’Haojing, Sébastien le mien et Haojing celui de Sébastien, nos voix, pars leurs résonnances, ricochaient dans l’espace. Quand c’était au tour d’Haojing de parler, elle gardait le même timbre de voix, la même tonalité, la même puissance vocale : très faible ou chuchoté. J’ai commencé ma lecture en adoptant le même timbre de voix qu’elle, du haut de ma palissade, en commençant à descendre les marches et quand j’ai faits ça, j’ai vu des personnes me demandant avec un geste de la main de parler plus fort. Iels levaient leurs mains vers le haut, leurs paumes vers le ciel pour me demander de parler plus fort.

Iels savent que moi Ema je parle fort et qu’Haojing, elle, ne parle pas fort, iels n’attendent pas d’être surpris de ne pas comprendre Haojing, mais de moi oui.

Iels n’ont rien compris !

Le silence laisse place à l’accueil et au contraire le volume prend place et ne laisse pas la possibilité à autre chose de prendre place. En s’adaptant à Haojing et en incarnant un texte vivant : chuchoté ou en hurlant ! On laisse place à la voix, à la voix de cette personne et ça a créé d’autres champs d’écoutes tout en aiguisant mon oreille, je la comprends. Et oui, oui certain.e.s ne m’entendaient pas. Mais comme on habitait l’espace, comme on se déplaçait, les gens autour de moi m’entendaient, il suffisait, de venir à nous. À vous aussi de prendre place.
J’ai fait l’erreur immense de lui avoir obligé à faire des exercices vocaux, d’articulations et de volume sonore, ça a été un échec total de sa part et une bêtise énorme de la mienne.
Le silence laisse place à une voix. Apprenons aussi à se taire.
« Cheveu par cheveu », noués entre eux, de cette abondance accueil des présences.

Comment suggérer la présence des être exclus ?

Ici par exemple, au Casino Display au Luxembourg, il est impossible qu’une personne en fauteuil roulant ou une personne qui a une faible mobilité de pénétrer dans les lieux. Ses présences sont exclues. L’accès n’est aussi pas libre aux volatiles.

Néanmoins, les araignées elles, se créer des habitats éphémères entre deux expositions je suppose. Entre ce battement silencieux où les espaces sont vidés, nous découvrîmes des toiles dissimulées parcis par là. Dans les lieux les plus inaccessibles, les tisseuses parviennent toujours à se faire une place, malgré qu’elles soient souvent délogées. Elles reviennent toujours manifester leur existence.


Le message

Visibiliser les présences exclues, adoptons des attitudes à l'écoute, prônons le silence afin de laisser place à d'autres vies.


Le processus créatif

Lors d'un WorkShop au Casino Display au Luxembourg avec l'ARC et après ? Qui est un atelier de recherches et de créations au sein de l'ÉSAL Metz, l'École Supérieure d'Art de Lorraine, c'est crée une collaboration insoupçonnée entre Haojing Ji, Sébastien Faivre-Picon et moi-même, étudiant.e.s en art.
Après avoir réalisé une installation de cheveux, une performance de textes parlés à eu lieu.
Ce texte est ce qu'il en reste d'un point de vue sensible, le miens.