Microcosmose

Liza Gatto-Habib

Texte

INEQUALITY
CITIES

L'oeuvre

On lui avait dit qu’il était temps d’assurer ses arrières, regarder plus loin que la mer pour bâtir un futur. Sûrement refusait-elle de voir que son île était en train d’être engloutie.
Pour migrer vers le continent, Mia avait davantage été cigale que fourmi mais l'insouciance était révolue.
Elle qui n’avait jamais cultivé ni hospitalité, ni curiosité de son prochain, vit un jour déserter les visiteurs car son "Île Verte” se noyait à vue d'œil.
Mia avait procrastiné mais cette fois, la cigale devait rejoindre la cité fourmillante : cet empire de vacarme qui aseptise les sens.
Sur le bateau, elle vit disparaître dans le grand bleu sa maison retenant son souffle, qui sembla la saluer.
Débarquement. Choc culturel. Les passants parlent fort d’un accent tordu. Se croisent sans se regarder. Les paires d’yeux interpellées s’arrêtent sur elle puis se détournent. Une vérité la frappe : Mia est l’étrangère.
Sans famille ni repère, que deviendra-t-elle si la mentalité d’ici rejoint la sienne ? Si personne ne la désire ? Comment est-ce de vivre entre deux mondes, la terre mère de nos souvenirs et celle qui ne nous adopte pas ?
Une main prévenante se pose sur son épaule. C’est une fille souriant d’une compassion lucide comme si elle savait déjà tout :
- J’ai su que tu débarquais à cette heure. Tu me suis ?
Désarmée, Mia ne voit d’autre choix que de suivre Nour, qui se présente sur le trajet, jusqu'à une grande tour : le "Microcosmose”. Ce jeu de mot douteux ne convainc pas l’insulaire : quelle poésie peut-on associer à cet endroit ? Nour cerne sa réticence et brise la glace :
- Tu viens de l’Île Verte, non ? Selon les prévisions, deux îles voisines seront submergées d’ici cinq ans. On est destinés à accueillir beaucoup de monde. Des tours plus hautes, plus nombreuses. On peut voir ça comme une œuvre de laideur ou une opportunité. Tout est question de perception.
Premier étage : Nour explique que l’échelon social n’a pas d’influence sur le logement, tiré au sort ou attribué selon la disponibilité. Le hasard redistribue les chances, princes et mendiants partagent leur palier et fréquentent enfin la même cour. Les portes sont déverrouillées selon l’envie de recevoir de la visite.
Second étage : une porte entrouverte dévoile un appartement traversant. Tous donnent sur la ville et la mer : des logements-caméléons aux yeux télescopiques regardant à la fois à l’est et à l’ouest.
Troisième étage : grande cuisine commune alimentée par les habitants. Les produits, tous en libre accès, égayent les fins de mois les plus modestes et la pièce accueille des échanges linguistiques dédiés aux arrivants qui ne parlent pas la musique d’ici.
Les étages se succèdent et Mia voit naître un plaisir imprévu à découvrir qui peuple la cité verticale :
D’autres insulaires venus de l’île d’en face, contraints par la montée des eaux à un nouveau départ.
Les “bien nés” qui quittèrent leur élégante enclave pour rejoindre cet idéal au-delà du paraître, par des plaisirs simples qui se partagent.
Ceux venus d’au-delà du pays voisin, assimilant en urgence de nouveaux mots ou gestes et poursuivant non sans peine le but de s’intégrer ici sans oublier là-bas. Une chance de devenir pluriel ou un risque de ne simplement plus savoir qui l’on est ? Peut-on un jour vraiment s’adapter, évoluer sans se trahir ?
Mia n’était pas l’unique naufragée pour qui tout était à réapprendre. Et aussi vertigineux que rassurant, peut-être serait-ce ce constat qui la sauverait.
Dernier étage : Toit panoramique pour voir débarquer les arrivants et repère ultime de Nour, émue :
- Si ce lieu est perçu comme une invitation et non un perchoir à marginaux, c’est que nous aurons réussi.
Mia s’extasia en silence face à cet horizon insoupçonné. Réinventer la ville. Du charbon à l’or. Elle réalisa qu’on avait peu de pouvoir face à l’inéluctable, aux faits éphémères, aux dangereuses certitudes. Que les privilèges ne comptent plus le jour où ce monde rappelle qu’il n’est pas que celui des Hommes.
Au final, quel rôle plus noble que celui de l’insecte tentant de vivre en paix dans son tout petit royaume ?


Le message

Intéressée par le sujet de l'insularité, de l'architecture inclusive et globalement de la vie en société, j'ai voulu aborder l'enjeu de réinventer la ville et l'habitat dans un monde qui s'annonce de plus en plus urbanisé et anthropisé en raison de la surpopulation, de l'accroissement du nombre de réfugiés climatiques etc.
Le récit est notamment une invitation à envisager le logement autrement, créer du contact et de la mixité sociale.
J'aimais l'idée d'imaginer une sorte de conte initiatique, un texte accessible à l'écriture assez romancée mais mettant en lumière une problématique réaliste.
Le thème étant donc très actuel, j'ai réfléchi à diverses problématiques propres à la cohabitation et ai tenté de faire ressortir quelques idées concrètes pour créer des espaces de vie innovants, amputant la distance et les inégalités entre habitants.
Enfin, j’appréciais l’idée de traiter les thèmes universels et intemporels propres au conte/voyage initiatique : l'inconnu et la découverte de soi.


Le processus créatif

Pour nourrir mon récit, j'ai puisé dans de nombreuses références qui me plaisent et font écho en moi.
Je pense d'une part que la série française Salade Grecque qui traite notamment de l'aménagement d'un vieil immeuble athénien en centre d'accueil pour migrants m'a forcément inspirée. D'autres programmes comme la dernière saison de la série Sex Education sur Netflix dressant le portrait d'un lycée inclusif (communauté queer, PMR...) étaient aussi d'intéressantes sources d'inspiration.
D'un point de vue architectural, je me suis renseignée sur le travail du Corbusier sur la Cité Radieuse à Marseille, dont j'ai eu la chance de mener la visite en tant que guide-bénévole dans le cadre de mes études : le concept de cité verticale, d'unité d'habitation harmonieuse entre nature et résidents m'a beaucoup parlée.
Enfin, étant actuellement à l'étranger, j'expérimente moi-même pour la première fois ce statut d' "étrangère", le choc culturel et le rapport à autrui que j'ai souhaité aborder.