Nulles trace

Eleam

Texte

EARTH_LIFE
CLIMAT

L'oeuvre

Nulle trace
Je suis de passage,
Une simple traînée de nuage.
Je suis ton sentier,
Nos empreintes doucement mêlées.

J’ai quitté mon abri
Pour marcher au rythme du silence,
Pour respirer au goût du dénivelé.
Mais je n’oublie pas
Que sous mes pieds
Se trouvent des nids,
Que sous mes yeux
Se trouvent des vies,
Que je dois traiter en ami.es,
Que je dois laisser sans un pli.

Si mes pas
Sont des mots étrangers,
Si mon murmure
T’a effrayée,
Si mon souffle
T’a forcé à me contourner,
Je veux que tu saches
Demain
Mon écho aura été absorbé par l’altitude,
Demain
Mon odeur aura été embrassée par la rosée,
Demain
Tu auras oublié
Que mes mains ont rencontré les hautes falaises,
Que mon être s’est invité non loin de ton foyer,
Que nous avons dans un froissement
Cohabité.

Je veux me convaincre
Que tu oublieras,
Car nous t’avons fait souffrir
Tant de fois,
Que je ne pourrais me pardonner
D’être celle qui a fait déborder
Les cours d’eau asséchés,
D’être celle qui a allumé
Les forêts calcinées,
D’être celle qui a
Seulement
Profité.

Je veux partager,
Être à égalité,
Ne plus prendre sans donner,
Ne plus rendre sans remercier.
Je veux partager,
Être à égalité,
Ne plus laisser sur les chemins
Des restes de ma solitude.

Comblée par les massifs,
J’apprends à porter mon vide,
Sur mes épaules.

Je comprends qu’autour de moi
Peut-être que
Le vide n’existe pas,
Que tout est à découvrir,
Mais que rien n’est à remplir,
Que ce qui est
Doit rester,
Que ce que je suis
Doit simplement
Passer.

Je veux être
Celle qui grimpe,
Celle qui marche,
Celle qui lutte
À tes côtés,
Pour que vivent les vallées
Malgré les vacances d’été,
Pour que vivent les sommets
Malgré les multiples traversées
Des crampons, des skis, des piolets.
Pour que vous puissiez respirer
Sans craindre
Ma liberté.


Le message

Ce poème vise à montrer qu’une cohabitation est possible entre les humain.es et le reste du vivant à une seule et unique condition : celle du respect des espaces de vie des uns et des autres. Il est crucial de réaliser que l'utilisation de la montagne par les hommes et les femmes, souvent tenue pour acquise, peut avoir des conséquences profondes sur les écosystèmes. Même une brève randonnée peut troubler la faune sauvage si elle s'approche trop près des habitats, si des déchets alimentaires humains altèrent le régime naturel des espèces, ou si des randonneurs et randonneuses s'écartent des sentiers balisés.
Nous devons prendre conscience que chaque pas que nous faisons a un impact, et que pour éviter une mise sous cloche de la nature et continuer de partager les grands espaces avec l’ensemble du vivant, notre responsabilité est de minimiser cet impact autant que possible.


Le processus créatif

J'ai écrit ce poème après avoir passé trois jours en montagne. Je marchais le jour, dormais dans des cabanes le soir et ramassais du bois pour alimenter le poêle au coucher du soleil. Une nuit dans la nature a suffi pour me faire oublier le tumulte de la ville et toutes les préoccupations de ma vie quotidienne. Cependant, je me suis rapidement rendu compte que je n'avais rien à faire ici. Mes pas effarouchaient les marmottes, ma respiration faisait taire les oiseaux, mes traces incitaient les bouquetins à changer leurs habitudes. Je n'étais pas chez moi, j’étais chez toutes celles et ceux qui habitent les vallées, les cols et les sommets. En rentrant chez moi, j'ai écrit pour rassurer le vivant que j’avais côtoyé : je n’avais laissé aucune trace de mon passage. Cela me semblait être la condition ultime à ma présence sur leur territoire. La condition ultime à une cohabitation.