Marseille. Mai 2030. Il fait chaud. Trop chaud même pour supporter son propre corps. La lumière du jour est agressive, insupportable pour sortir et respirer. Respirer. Non, pas le “grand air” sain auquel on s’attend en bord de mer, juste une sensation de lourdeur et des odeurs désagréables. Tant pis, Rosa, dans ses pensées, se dirige à pied vers le centre de sa communauté.
Elle s’est longtemps imaginée comment ce serait de vivre en 2030. Elle avait dans son imaginaire, un monde sombre et apocalyptique, typique d'une écoanxieuse. Jamais elle n’aurait cru que tout pouvait basculer en quelques années. Même si le climat s’est encore réchauffé, même si le vivant est fragile, même si les 6 des 9 limites planétaires sont dépassées, les sociétés avancent vers la bonne trajectoire.
Rosa arrive à la coupole, située rue d’Aubagne. Ce quartier a été métamorphosé. Il y avait vétusté et pauvreté, maintenant il y a confort nécessaire et solidarité. La coupole de l'arrondissement en constitue le cœur.
- Bonjour tout le monde ! s’exclame Rosa. J’espère que vous avez pu boire un verre avant de débuter la séance.
Les 200 personnes présentes lui disent à son tour bonjour, quasi à l'unisson, un verre à la main.
- Comme vous le savez, nous allons prendre des décisions concernant le quotidien de notre communauté, en vertu de la loi n°2027-30 du 2 septembre 2027, conférant aux communautés de quartier le pouvoir de décider collectivement des mesures concernant leur qualité de vie, rappelle Rosa.
La vie de la communauté de ce quartier s’est bien améliorée depuis le changement de République en 2027. La République Française, dont la devise est désormais Liberté, Justice, Adelphité, est composée de biorégions autonomes délimitées par leurs caractéristiques écologiques, culturelles et historiques. Les villes n’ont plus le même visage, elles sont cosmopolites et composées de diverses communautés de quartier (comme des hameaux). Chaque biorégion a donc une âme et une sensibilité au vivant, puisque la proximité écologique et politique avec le lieu de vie est garantie.
- La séance 323 peut commencer, dit Rosa.
À l'ordre du jour : les déchets. On va traiter les diverses propositions travaillées en groupes ces trois dernières semaines.
Une proposition du groupe " le gang des snorgleux" est de collecter les contenants consignés chez les personnes âgées et handicapées du quartier qui ne peuvent pas les apporter aux points de collecte.
Rosa marque la proposition sur un tableau blanc.
Une jeune femme passe parmi les habitant•e•s avec une urne.
- Super idée !! s'exclama, au fond de la salle, un homme d'une quarantaine d'années, sur son fauteuil roulant.
- Étant donné que tout le monde est là aujourd'hui, et je vous en remercie, nous pouvons collecter vos remarques, vos propositions et vos questions. Vous pouvez les écrire sur la feuille distribuée en amont de la séance. Vous la déposerez comme d'habitude dans l'urne que Sara fait tourner, explique Rosa. Nous les débattrons ensemble une fois la retranscription sur le tableau réalisée.
Tout le monde joue le jeu de manière enjouée.
L'exercice démocratique suit son court, chacun•e se sentant légitime pour participer et enrichir de manière constructive et apaisée les diverses propositions. La séance, clôturée par Rosa, dure 4 heures. D'autres idées ont germé pour une autre séance, sur la justice alimentaire et les jardins de la résilience.
Rosa rentre chez elle, fatiguée mais fière de la concrétisation de mesures justes et frugales.
Ses pieds traînent sur le trottoir en cours de dépavage. Elle repense à cette France d'avant, dans laquelle elle était qualifiée d'écoterroriste pour ses actions de résistance civile. Cela lui semble idiot avec le temps, alors qu'elle avait peur pour sa vie. Maintenant la majorité des Français•e•s sont dans l'action permanente pour rebâtir une société juste, et plus reliée au vivant, réinventant la vie démocratique.
Il est loin le temps où je n'avais pas d'horizon dans lequel me projeter, pense Rosa. Il y a encore du chemin à faire, mais je l'aperçois, cet horizon désirable et désiré
Via cette nouvelle, je souhaite montrer que :
- l'on peut avoir de l'imagination pour faire germer une société désirable et soutenable, inclusive, juste et démocratique. Il manque cruellement de récits donnant envie à n'importe quelle personne de se sentir concernée par le changement de société, qui est souhaitable si l'on veut garder cette planète habitable. Cette nouvelle est la preuve qu'il n'y a rien de trop utopique et que tout le monde peut s'y retrouver .
- tout est une question de choix politique. Et rien n'est impossible en politique. Donc, le choix de l'impuissance est un choix politique inacceptable dans la mesure où cela nous mène aujourd'hui vers un futur dangereux. Si j'avais en face de moi des décideurs, je leur dirais qu'iels peuvent faire le choix de la puissance pour nous faire bifurquer collectivement.
J'ai déjà écrit des nouvelles, des poèmes mais dystopiques pour refléter mon éco-anxiété. Pour ce concours, j'ai voulu aller à contre-courant et me challenger à imaginer un récit plus positif, plus utopique puisque je fais le constat qu'il en manque.
Je me suis inspirée d'une rencontre avec Isabelle Attard qui nous a expliqué le communalisme libertaire et la pensée de Murray Bookchin. Je me suis inspirée du hors-série de Socialter "Comment nous pourrions mieux vivre"(notamment les passages sur les expériences utopiques dans l'histoire) et enfin je me suis inspirée du concept de biorégion développé par l'Institut Momentum. Ces inspirations mêlées à mon imaginaire m'ont aussi fait prendre conscience que l'on peut continuer à espérer le moins pire, dans la mesure où je suis encore capable d'imaginer du positif et de le retranscrire.
Pour rendre un récit désirable, je me suis dit qu'il fallait l'ancrer dans du concret, du local et facile à imaginer dans la tête de n'importe qui.
Partager sur les réseaux sociaux