Cher Monde de 2030,
Tous les ans, je me mets au défi d’écrire une lettre pour mon moi du futur, à lire dans un, deux, dix ans. C’est compliqué parce que, plus le temps passe, plus j’hésite à l’écrire. On est de moins en moins sûrs de pouvoir ouvrir l’enveloppe. J’ai peur de perdre les clés du tiroir sous les débris, peur de ne retrouver que des cendres au fond de l’enveloppe, peur de voir mes mots flotter dans l’eau sale, inatteignables. Tous les ans, je décide de l’écrire quand même. Ça en devient presque un acte de résistance. Écrire. Sans intelligence artificielle, sans ordinateur, sans Internet. Juste moi et le papier. Et je le glisse dans une enveloppe et je cache le tout quelque part. Il doit y en avoir plusieurs, planquées dans des coins de la maison que j’ai oubliés. C’est le risque. Je suppose que si vous lisez celle-ci, quelqu’un a pu la retrouver. C’est une bonne nouvelle. On est encore là. Et on sait toujours lire. Ça me rassure.
En ce moment, j’ai un peu l’impression que rien ne bouge mais que tout est en mouvement. Le monde explose, mais en silence. On parle de génocides, de guerre froide, d’attentats. On voit tomber les glaciers, les dictateurs, et les banques. Une chute, comme une guerre, c’est censé être bruyant. Ça casse, ça explose, ça détonne. Mais aujourd’hui, le monde est silencieux. On n’entend pas scander des slogans, on n’entend pas fondre la banquise, on n’entend pas les dictatures se former. Les postes télévisés flashent des images saccadées, interrompues par les publicités colorées.
Moi, je rêve avec le son à fond. Ma tête résonne des bruits du monde que j’imagine, avec mes amis, tard le soir.
On parle d’éducation, tous enfants de profs, les descendants d’une éducation nationale qui se noie. On imagine des écoles qui respirent mieux, avec moins d’élèves par classe et des profs pas surmenés. Des écoles où les filles n’ont pas à avoir peur des garçons, et où tout le monde a accès à l’enseignement supérieur. On est persuadés que c’est comme ça que le monde change, on s’accroche à cet espoir comme une bouée de sauvetage.
On parle beaucoup de l’environnement, on répète ce qu’on entend depuis bien trop longtemps. La glace fond, l’air se réchauffe et le ciel se grise. Les chiffres promis montent chaque année. 1,5°C, 2°C, 4°C. On réfléchit quand même, à des structures adaptées, à des changements à grande échelle, à réduire nos consommations. On fait ce qu’on peut.
On se raconte les histoires rapportées des rues, où les gens dorment dehors, où les enfants mendient, où les réfugiés fuient la police. On dessine les plans de résidences sociales, de refuges d’urgence et de centres d’accueil. On fait l’inventaire des terrains vagues et des bureaux abandonnés dans nos quartiers.
Des fois on finit par se dire qu’on est trop naïfs, des fois on finit par regarder des Master en sciences de l’environnement. Parfois on en rigole, parfois on en pleure. Souvent on s’envoie des articles et des pétitions. Toujours, on en reparle. On répète. On crie. On résonne.
Tout ça, ça fait du bruit. Les manifestations dans les rues du monde, les voix des gens qui s’accordent, les pleurs et les cris qui résonnent au loin. La création de nouveaux systèmes, la construction de moyens de transport durables, d’écoles publiques, de logements pour tous. Les appels à l’aide, les discours des militants, et les actions des ONG parlent plus fort que les dirigeants qui promettent à voix basse. On est toute une génération, j’espère juste que nous ne sommes pas la dernière, à rêver à voix haute.
À l’année prochaine,
2024.
Au travers de ce texte, j’aimerais m’adresser aux générations plus anciennes qui souvent nous trouvent trop naïfs, trop optimistes. Je pense que beaucoup ne comprennent pas que nous sommes nés dans cette urgence. L’urgence climatique, l’urgence sociale, l’urgence culturelle. Que nous sommes, en effet, nés avec le nez dans un écran, qui menace de nous laver le cerveau, ou de nous exploser au visage. Qu’on a pas vraiment eu le choix. Que depuis petits, on voit toutes les images. Celles du monde entier. On voit des voitures exploser, des glaciers tomber, des corps s’empiler. Ce n’est pas facile de rester naïf. Beaucoup d’entre nous ont vite appris à détourner les yeux, à ne plus espérer que ça change et je les comprends tous. Je voulais montrer qu’une partie de nous garde toujours espoir, qu’on se bat encore pour un futur, pour l’art, l’éducation et la culture comme outils de changement.
J’ai pris beaucoup de temps à réfléchir au sujet avant de commencer à écrire, car je n’aime pas ré-écrire et reformuler, malgré ce qui nous est nous conseillé à l’école. J’écris souvent d’une traite et ne reviens dessus que pour corriger les fautes de frappe ou d’orthographe. Alors j’ai réfléchi à un concept. La lettre m’a paru un format évident pour un questionnement sur le futur. De plus, le nouvel an approchait et j’écris réellement une lettre à moi-même chaque année. Une pierre, deux coups ! C’était un exercice intéressant de me forcer à garder en tête les notions de rêve et d’optimisme qui, honnêtement, m'échappent souvent lorsque j’écris. J’ai aussi lu les 17 objectifs de développement durable de l’Agenda 2030 afin de me rendre compte des actions déjà prises et du chemin qu’il reste à parcourir.
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