Conversations

Sara

Texte

CITIES
CONSUMPTION
WATER_LIFE
EARTH_LIFE
CLIMAT

L'oeuvre

La femme et les usines soupirent longuement, matérialisent en une fragile fumée, qui vient s’agglutiner sur la toile du ciel, l’ennui d’une journée passée. L’homme s’accroche fermement au sable, les vagues griffent sauvagement la rive. Les deux silhouettes découpent douloureusement leurs contours sur la peau abîmée de la terre, gros hématome bleu. Comme des pansements sur les plaies du monde. Comme les plaies du monde. Le soleil vient allonger ses longs rayons sur le lit du rivage, et soudain, la réalité redevient réelle, l’angoisse la reprend, et sur la berge de ses lèvres, la question naissante : " Y’a-t-il un demain pour nous ? " Sèchement, la rêverie se décolle des yeux de l’homme, troués de deux pupilles étonnées, signifiant : " Pardon ? " Et nous comprenons sa surprise, car leurs bras, enroulés autour du corps de l’autre, comme un fossile embrasse le passé dont il est porteur, ce geste suprême de tendresse ne suggérait rien d’autre que l’abolition du temps pour le sentiment. Alors, avec cette pointe d’amertume procurée par la déception d’un espoir stupide, celui d’un amour qui se passerait d’explications, elle éclaircit son propos : « Penses-tu que le soleil aura la force nécessaire pour se lever demain ? Moi, je crains qu’il soit ridiculement humain, qu’il fera comme nous, quand le réveil sonne, et que lentement s’égoutte dans notre tête la journée pas encore vécue : l’interminable marche jusqu’au travail, les conversations si horriblement impersonnelles avec les collègues, puis l’ennui devant un jeudi ressenti comme un film déjà vu. Je crains qu’il se lasse de pousser chaque jour dans le ciel, sachant qu’il verra les mêmes erreurs, sans cesse répétées, répétées sans honte, les mers habillées de déchets, et les forêts en deuil, et les Hommes, violents, si violents sans raison. Y’a-t-il un demain pour nous ? » L’homme, par respect envers la peine qu’elle a prise, à prononcer ces mots, dont la vérité pèse sur la langue, ne répond pas immédiatement puis, après un moment, il s’apprêtait à réconforter sans répondre, en soulignant que pour l’instant, ils étaient ensemble, et au diable les milliardaires dans leur jet et la surexploitation, il aurait tapé dans ses questions comme un enfant dans un caillou, éloignant l’inquiétude sans la faire disparaître. Mais imprévisibles ces larmes qui tracent leur sillon dans la terre fatiguée du visage féminin et, surpris par la pluie comme un passant sans abris, il regarde ébahi les gouttes tomber de ses yeux, et il pense aux nuits qu’elle a dû passer, en tête à tête avec la lune, la peur en butoir, maintenant les fissures tracées par les paupières douloureusement ouvertes. Alors il dit : "Les usines cracheront leur fumée dans le poumon de la terre, comme un fils ingrat empoisonne sa mère à la cigarette, et la voix abîmée, la nature ne répondra plus à nos appels, alors tout sera incroyablement, pitoyablement réduit à lui-même, et notre vie ne nous évoquera plus rien. Mais progressivement se répand dans les consciences que nous ne pouvons vivre avec ce silence que l’on instaure à une terre étouffée, à nous-même, et aujourd’hui je me coucherai avec l’espoir que demain, la terre sera plus bavarde, que les océans laisseront leurs mots sous forme d’écume sur le sable, que nous lirons entre les lignes des arbres. Je reste au chevet de la nature, avec l’impression d’être un petit enfant au bord du lit d’hôpital qu’hante sa grand-mère, essayant de déployer une phrase en corde pour venir la sauver, la chercher, la pauvre coincée dans sa lointaine, lointaine obscurité. Je lui rends un peu de sa liberté d’expression en ramassant par terre les déchets du monde, c’est bête, mais je sais que l’on deviendra sensible à toutes ces petites tâches de naissance laissées par la terre sur nous, ces signes d’appartenance, on ne pourra abattre des arbres sans sentir ce frisson dans le bras, le pincement d’une mutilation physique en notre propre corps. Et continuera cette éternelle conversation, d’elle à moi de toi à elle, saccadée par le silence des usines qui lentement s’endorment dans le murmure du monde."


Le message

En France, d'après l'Institut Français d'EMDR, 8 personnes sur 10 se disaient inquiets face au dérèglement climatique en 2023, et l'éco-anxiété paralyse les futurs de nombreux jeunes. Si les changements de système de production et de fonctionnement appartiennent aux entreprises, la possibilité de modifier son approche, son rapport vis-à-vis de cette problématique est toutefois de portée universelle. Partout, la conscience climatique se répand, car les gens apprennent à aimer, à aimer cette terre que l'on a si souvent réduite au silence. Développement de modes de transport doux, d'initiatives responsables comme GiveActions, le marché de la seconde main atteignant une croissance annuelle de 15% selon l'ENOV etc. Ainsi, l'humanité entame un véritable dialogue avec une nature qui, peu à peu, recouvre sa parole.


Le processus créatif

J'ai toujours pensé que la seule manière de lutter contre la dégradation de la planète, c'est de réduire cette distance entre elle et nous, ne plus voir la nature comme un reflet mais comme une ombre indissociable des femmes et hommes. Alors je me suis assise face à une fenêtre, j'ai regardé les gens passer et ignorer le secret d'une nature timide mais qui offre le rêve à qui sait y voir. J'en ai déduit que mon monde idéal serait celui où nous serions tous capables d'entendre les confidences du paysage. Je ne voulais pas rêver d'être dans le futur mais bien rêver le futur, parce que plus que fuir, je souhaite tracer le chemin. J'ai écrit cette nouvelle en quelques nuits, lorsque le songe était le plus proche, afin de le retranscrire le plus parfaitement possible, en m'éclairant du soleil qui avait poussé dans le jardin de mes pensées.